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Michel Proulx
Qu’est-ce qui t’a amené à faire de la photo abstraite ?
Comme beaucoup de photographes j'en faisais depuis plus de 40 ans sans trop le savoir. Je me souviens de moi longeant les murs des ruelles à la fin des années 70 pour réaliser une série d'images de gouttelettes de peinture sur les murs de briques. J'ai aussi rapporté de ces balades des odeurs de sacs de vidanges éventrés… Ma découverte de la photo dite contemplative il y a 10 ans a apporté un souffle nouveau à mes photos abstraites. Comme je vis au centre-ville de Montréal je parcours quotidiennement les rues et je suis en contact avec ce que j'appelle la laideur esthétique de la ville. Le plaisir de faire du beau avec du laid provoque souvent des sourires coupables chez moi et c'est une grande motivation à continuer de m’amuser et à aller toujours plus loin dans l'interprétation abstraites de sujets accessibles et familiers.
Quels sont les types de scènes / sujets qui t’inspirent le plus ?
La réponse est un peu plate : Tout. Mais depuis quelques semaines j'explore particulièrement les chantiers de construction du centre-ville et les bords de voies ferrées jonchées de détritus. Encore de bonnes odeurs à rapporter à la maison… En fait, en bon photographe contemplatif, quand je pense que c'est beau à gauche, je vais à droite… J'aime bien me provoquer avec cette approche qui réserve des surprises et me permet de vaincre mes insécurités créatives. Il y a longtemps que j'ai cessé de chercher du beau autour de moi. C'est en photographiant les choses ordinaires qu'elles deviennent belles une fois changées en électricité par mon capteur. En photo abstraite il vaut mieux oublier le nom des choses que nous prenons en photo. La fonction première de mes « sujets » ne m’intéresse pas.
Quel serait pour toi la définition de la photo abstraite ?
Bon, là, c'est le prof de photo qui va parler. En fait, la photo abstraite est pour moi un « sujet » et non une approche ou une attitude créative. Évidemment pour arriver à avoir du plaisir à faire des abstractions en photo il faut avoir développé une grande ouverture d’esprit et cesser de vouloir « faire des belles photos » qui vont engendrer 200 « likes ». La photo abstraite est une interprétation créative du monde qui nous entoure et un défi visuel accessible quand on sait regarder autrement. La photo abstraite est sans prétention et n’a aucun but documentaire si ce n’est de faire chercher le regard dans un monde non représentatif. C’est à la fois la liberté et la contrainte. Mais comme on crée mien sous la contrainte… J’aime l’attrait aussi car nous fait se poser des questions. Une photo ne devrait pas donner toutes les réponses. Certaines photos abstraites sont aussi comiques et j’aime faire sérieusement de la photo non sérieuse.
Est-ce que tu considères suivre une ligne directrice ou une démarche ?
Ma seule ligne directrice est la « non recherche » de sujets et de performances. Si je me promène et que je pense qu’il faut que je rapporte des photos, je range mon appareil et je prends une marche. 50% de mon plaisir est de ne surtout pas avoir de démarche, et l’autre 50% est l’état de réceptivité que me procure ce genre de photo accueillies et improvisées. J’adore être spectateur de ce que les gens ne remarquent pas. On se souvient que je fais mes photos sur la rue, en ville, et des gens qui « fonctionnent » et ne voient rien il y en a par milliers.
Ma phrase type à mes étudiants est : Vous savez que 10,000 personnes par jours passent devant cette clôture rouillé et ne la regarde pas! Dans ma vie quand j’ai cherché une « démarche » s’était toujours la mauvaise démarche.
Pourquoi l’abstrait ?
Parce que je suis un peu baveux dans la vie comme en photo et que je veux m’éloigner, dans la vie comme en photo, de l’approbation d’autrui. Chercher les « likes » ou les photos gagnantes de concours amène le photographe à jouer de prudence et à rester dans les sentiers connus. À 68 1/2 ans terminées les approches qui sont sécuritaires et approuvées par les conventions photographiques et la photo abstraite est la porte d’entrée royale dans ce royaume de la liberté.
Comment décrirais-tu ton évolution avec le temps ?
Les photos qui me jettent par terre transcendent l’effort de créer et je suis certain que le ou la photographe n’a pas violenté le sujet mais l’a accepté tel qu’il est sans effort. La photo (le fichier) est un supplément plaisant mais pas le but de mes balades en ville. Je n’aurais pas de carte mémoire dans l’appareil et j’aurais presque le même plaisir de prendre des photos. Cesser de vouloir donner un sens à mes photos et sentir le moment précieux où je suis LÀ en train de sentir la vie sur mon coin de trottoir est le sens de mon évolution et du bonheur!
Juillet 2020
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