Le miroir magique
- Jean Vigneault
- 5 mars
- 3 min de lecture

On était un peu à l’avance pour ton cours de danse.
Tu t’es installée sur le banc à côté des jouets. On a joué un peu avec le téléphone à roulette. Tu m’as appelé et j’ai pris, comme tu me l’as demandé, ma main en guise de téléphone. Tu semblais avoir compris que mon iPhone n'était pas compatible avec cette technologie. Je t’ai souhaité un bon cours de danse et on a raccroché.
C’était maintenant le temps d’aller te porter dans la salle de danse. Je sais à quel point tu es timide et que tu n’aimes pas t’inclure comme ça, à l’improviste, dans un groupe. ( T’es ma fille après tout ) Pour t’aider je t’avais promis d’aller diner au resto si tu relevais ton défi d’aller rejoindre le groupe comme une championne. T’es entrée timidement dans la salle en tenant ma main et je t’ai pointé la professeure qui était avec quelques élèves déjà. Comme d’habitude, tu as figé. Tu es venue te cacher derrière moi et il a semblé que tu t’es souvenu tout à coup de ma promesse et de l’enjeu. Tu as pris ton courage en laissant ma main et, lentement, t’es allé rejoindre la professeure de danse. J’étais vraiment fier de toi si tu savais.
Je suis reparti de mon côté te regarder à travers la vitre. La semaine d’avant, pour t’amadouer et faire en sorte qu’on pourrait, moi et maman, te laisser seule avec le groupe, la professeure t’avait emmené à cette vitre qu’elle appelle ‘le miroir magique’. Cette vitre spéciale, en plus de vous servir de miroir durant votre cours, permet aux parents de pouvoir vous regarder à l'extérieur sans vous déconcentrer. Mais quand tu te colles vraiment très près du miroir, elle t’avait montré qu’on pouvait un peu voir à travers, et tu m’avais alors aperçu de l’autre côté. Tu m’avais envoyé la main avant de repartir, enjouée, pour commencer ton cours de danse.
Cette fois la prof n’a pas eu besoin de t’apporter au miroir; tu t’es installée directement à côté d’elle en attendant l’arrivée des autres.
C’était au milieu du cours : l’exercice consistait à traverser la salle en reculant et en exécutant des mouvements avec les bras. Pendant que tu traversais, tu t’es tournée la tête vers le miroir et tu me regardais en souriant, sans me voir, sachant bien que j’étais en train de t’observer de l’autre côté. Tu étais craquante avec ta petite robe rouge et tes collants blancs à me regarder en dansant. Tu semblais fière de toi et voulais que je voie tes prouesses. C’est à cet instant que l’idée m’est venue de t’écrire ce petit texte. Pourquoi ?
Tu es une enfant tellement curieuse. Tu m’as souvent demandé ce qui se passait quand la vie était finie. Ça semble être une question qui te hante. Tu sais bien à quel point je n’ai pas su te répondre clairement. En fait je n’ai aucune idée de ce qui se passe après, ou s’il se passe quoi que ce soit. Il y a comme ça des questions dont on peut seulement présumer de la réponse parce qu’elles sont un mystère.
Je pense que la seule réponse qui compte pour celle-ci est celle que tu choisiras, selon comment elle t’apaise et te réconforte et te permet de vivre le plus pleinement ta vie. Parfois, peut-être que, comme moi, tu choisiras une réponse, qui ne sera jamais la même, selon ce qui se passe dans ta vie au moment précis et à la seconde où tu te la pose.
Ce matin en te voyant danser à travers ce miroir magique, ma réponse parfaite était justement ce que je vivais à ce moment-là :
Mon papa à moi est de l’autre côté depuis déjà plus de 6 ans. J’aime imaginer que de l’autre côté, il me regarde. Qu’il me regarde lui aussi, debout devant la vitre pendant que je fais de mon mieux dans la grande salle. Qu’il est seulement à un endroit incompatible avec le mien, comme ton téléphone à roulette et mon iPhone. Je ne le vois pas, même en collant mes yeux sur le miroir mais, ce matin, ça me fait du bien de simplement croire qu’il en est ainsi.
Tu vois bien comment cette question peut générer des réponses étranges et farfelues.
Ma belle Maia, je serai toujours là derrière le miroir à te regarder fièrement pendant que tu danses. Je le serai pour toujours et toujours, et même après toujours.
Je t’aime xx
J.V. Automne 2019.
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